Rentrée littéraire 2019 : Se Taire de Mazarine Pingeot

Se Taire est le premier roman fort de la rentrée littéraire parmi les livres que j'ai lus pour le moment. Je suis franchement étonnée qu'il n'ait été nommé dans aucune sélection. Les jurés seraient-ils frileux ?

Mathilde Léger, vingt ans, fille d'un chanteur français populaire et engagé, petite-fille d'un héros de guerre et Académicien, se fait violer par un Prix Nobel de la Paix alors qu'elle devait le photographier pour un magazine suite au suicide de sa fille. Le roman raconte la vie de Mathilde après ce viol à court, moyen et long terme, sur une période d'environ vingt ans.

L'ouvrage s'ouvre sur un prologue au vitriol et annonce la couleur. Je pense que certains peuvent prendre peur avec cette entrée en matière. Moi-même je ne sais toujours pas quoi en penser. C'est une introduction puissante mais déroutante.  La tonalité se calme un peu par la suite car le roman est narré du point de vue du personnage principal, jeune femme douce et soumise au rôle qu'on lui a imposé. Toutefois en filigrane on y lit les prises de position de l'autrice.

Clairement Mazarine Pingeot a des choses à régler avec de nombreuses personnes : journalistes, famille, parasites tournant autour de son nom...

Se taire c'est bien sûr l'histoire d'un cas particulier. Chaque personne vivra un viol de façon différente parce que différente avec un bagage particulier qui lui fera vivre l'expérience différemment. Les réactions et les actes des "victimes" ne sont donc pas codés, pourtant la société s'attend à certaines choses pour décréter qu'il s'agit bel et bien d'un viol. Ainsi, plus que ses parents, plus que son éducation, plus que sa peur, c'est la honte face à sa réaction suite au viol (prendre les photos pour lesquelles elle avait été engagée) qui va empêcher Mathilde de porter plainte. Cette action (qui découle bien sûr du choc et du formatage qu'elle a intégré depuis toujours) va la hanter autant que le viol lui-même. 

Mazarine Pingeot aborde plusieurs thèmes intéressants au fil des pages et j'ai trouvé dommage qu'ils ne soient pas plus développés. Mais l'écrivaine a préféré s’investir dans son thème principal et ne pas trop s’en écarter.

Concernant Mathilde, ce n'est pas un personnage auquel on s'attache mais il n'est pas question de s'y attacher. C’est une personne publique, non par choix mais par naissance, et malgré sa décision de vivre en retrait de l'œil du public elle est une page blanche sur laquelle  chacun a son opinion

J'ai entendu beaucoup de choses sur la plume de Mazarine Pingeot, mais comme il s'agit de mon premier livre de l'autrice je ne pourrai parler que de celui-ci. J'ai personnellement beaucoup aimé son écriture ici. La forme sublime le fond. L’écrivaine est en colère et on le sent dans le rythme des phrases qui nous entraîne. Certains pourront trouver le style trop littéraire. Il est vrai que de temps en temps l'écriture est un peu ampoulée mais il y a des passages particulièrement justes, particulièrement beaux, particulièrement émouvants, particulièrement violents : sa comparaison avec un vase brisé, sa première fois avec Fouad, son opinion sur le mariage, sa prise de conscience de n'avoir jamais été qu'une fonction et un sacrifice sur l'autel de sa famille.

J'ai aimé la fin. J’étais curieuse de voir comment Mazarine Pingeot allait pouvoir terminer ce livre qui me semblait difficile à finir sans tomber dans le cliché ou le pathos. Elle a réussi à faire quelque chose d'intéressant et de réaliste. Cette fin permet d’apprécier la construction du roman que les titres de chapitre explicitent.

Concernant tous les articles se demandant si Se taire fait référence au viol de sa nièce, je répondrai que ces journalistes sont passés à côté du livre. Qu'importe ? Forcément cela a dû marquer et inspirer Mazarine Pingeot. Oui, non, qu'est-ce que cela change ? Avons-nous besoin de jouer les voyeurs pour apprécier un livre sur une thématique forte et un sujet important ?

Info : publié en vo (français) aux éditions Julliard en 2019 au prix de 19€.