Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Books en série

7 mai 2023

Romans historiques pour les ados #2

Suite au petit succès du précédent article sur cette thématique, j'ai décidé de vous proposer de nouvelles lectures.

 

Débutons avec une trilogie pour les 9 ans et plus. Nommée Un parfum d'histoire et écrite par Béatrice Egémar, elle se compose de L'Eau des Anges, L'Eau du Roi et L'Eau Bleue.

Un parfum d'histoirehappy smiley

Ce déroulant respectivement au Moyen-Âge, à la Cour de Louis XIV et pendant l'entre-deux-guerres, ces trois tomes sont indépendants les uns des autres. La série suit trois héroïnes, âgées entre quatorze et seize ans, appartenant à la même famille, originaire de Grasse et célèbre pour ses parfums. 

Chaque histoire est un roman d'apprentissage mettant en scène une jeune fille ayant héritée du don familial (un nez puissant) et bien décidée à prouver qu'elle est digne de rejoindre l'entreprise malgré son appartenance au genre féminin. Dans les deux premiers tomes c'est un voyage qui permettra à Douceline et à Jeanne de découvrir tout leur potentiel, et de tomber amoureuses au passage. Le 3e tome est un peu différent des autres, prenant la forme d'un échange épistolaire entre deux amies séparées pendant l'été, entre Paris, New York et la Côte d'Azur.

La partie historique n'est pas extrêmement poussée mais permet de donner aux récits l'atmosphère propre à leur époque. Par les lieux visités, les moyens de transport, les loisirs, les habitations, les boutiques... le lecteur peut se faire une idée de la vie quotidienne des Français d'alors (ou du moins de la bourgeoisie). Par ailleurs, l'autrice fait apparaître quelques personnages historiques et célébrités en personnages secondaires (Louis XIV, la Montespan, Cocteau, Coco Chanel...).

Les textes sont courts (moins de deux cents pages) et fluides. L'autrice prend le temps de développer ses héroïnes et leur état d'esprit. Les événements sont réalistes et les rebondissements plausibles à hauteur du public visé. Il n'est jamais question pour ces demoiselles de remettre en question leur destin de femme, mais simplement de participer à la légende familiale. 

Petit + : la découverte de l'univers du parfum et son évolution au fil des siècles (son apparition, sa création, son système économique, sa synthétisation...).

Info : la trilogie est parue en vo (français) entre 2011 et 2012 aux éditions L'Archipel.

 

***

 

Restons en France, mais partons un peu plus loin, direction la Martinique avec La Prophétie des Sœurs-Serpents d'Isis Labeau-Caberia.

La Prophétie des soeurs serpentsKiss

Tous les trois ans, Naïlah est forcée de passer ses vacances d'été chez sa grand-mère à la Martinique. Parisienne de naissance, elle ne connaît rien de cette île que sa mère a laissée derrière elle depuis longtemps. En parallèle, nous découvrons en 1658 trois autres jeunes filles. Funmilayo, prêtresse yoruba, est prise par la tribu ennemie et vendue en esclavage. Nònoum, fille d'un chef kalinago, est témoin de l'avancée des colons malgré le traité de paix signé avec son peuple. Rozenn, paysanne bretonne accusée de sorcellerie, est obligée de fuir pour les colonies. Ces quatre héroïnes que tout sépare vont être liées par la même histoire, celle de la Martinique.

Je préfère m'arrêter ici pour le résumé, l'autrice prenant son temps pour développer le récit de chacune d'entre elles, vous en dire plus gâcherait une bonne partie de votre lecture. Je préciserai seulement qu'une touche de fantastique parcourt le roman. 

La Prophétie des Sœurs-Serpents est pour moi l'exemple parfait d'un bon livre historique mêlant la petite histoire à la Grande. Le lecteur y découvre ainsi la colonisation de la Martinique de différents points de vue (esclavage, déportation, guerre contre les Indiens caraïbes, missionnaires catholiques...) mais également le post-colonialisme (avec notamment le scandale sanitaire du chlordécone) ; le tout mis à niveau d'adolescents.

Petit bémol sur l'aspect "sororité" sur lequel la quatrième de couverture insiste. Si le récit repose bien en partie sur une histoire d'amitié féminine encore trop rare dans la littérature jeunesse et donc très appréciable, son développement est très rapidement survolé. A chaque nouvelle rencontre une ellipse temporelle nous empêche d'être témoin de la naissance de ces relations qui sont pourtant au cœur de l'intrigue. Bien qu'un peu frustrée, je conçois qu'il a fallu à l'autrice faire des choix et que la partie historique ainsi que le développement des personnages sont très réussis.

Par contre, j'ai particulièrement apprécié l'univers ésotérique qui se dessine à travers les différentes croyances des héroïnes de 1658. Leur connexion à la nature (les mettant bien sûr en opposition aux colons qui brûlent les terres pour mieux les exploiter), mais aussi à leurs corps/féminité et à la communauté (là encore en opposition avec l'individualisme capitaliste des colons), donne à ce roman une résonance écologique.

Info : publié en vo (français) chez Slalom en 2022 au prix de 16,95€

 

***

 

Le dernier livre de ce post nous emmène en Asie. Peut-être connaissez-vous Les Carnets de l'Apothicaire pour son adaptation en manga aux éditions Ki-oon. Toutefois tout a commencé par le roman d'une autrice Japonaise (bien que l'histoire se déroule dans la Chine impériale), Natsu Hyuuga

les_carnets_de_lapothicaire_romanhappy smiley

Enlevée et vendue comme servante dans le quartier des femmes du palais impérial, MaoMao, dix-sept ans, cache ses talents d'apothicaire en espérant être libérée au bout des trois années réglementaires. Toutefois, à la suite d'une affaire d'empoisonnement, Jinshi, un mystérieux haut fonctionnaire, va la repérer et l'utiliser à son avantage. MaoMao va désormais devoir démêler les complots et machinations de cet univers qui répond à ses propres règles.

Pour être honnête je ne suis pas certaine que ce roman ait sa place dans cette thématique. N'ayant que peu de connaissances sur la Chine Impériale, j'ignore si les détails historiques du roman sont fiables. Toutefois l'aspect historique étant extrêmement léger j'ai estimé que cela ne ferait de toute façon pas grand mal. En effet il n'est jamais question de politique nationale dans ce premier tome qui reste circonscrit au harem et à la Cour.

Ayant lu les cinq premiers tomes du manga, je connaissais déjà le début de l'histoire mais je souhaitais avoir accès aux pensées des héros car MaoMao et Jinshi ne sont pas des personnages très expressifs ou bavards. Le roman a parfaitement répondu à cette attente, donnant même accès à des points de vue supplémentaires.

Par ailleurs j'ai été extrêmement surprise du nombre de péripéties et d'informations contenues dans ce premier tome. Il est vrai qu'il fait presque 600 pages et que les événements s'enchaînent rapidement avec peu de descriptions. J'ai aussi découvert que chaque tome des éditions françaises chez Lumen réunissait deux tomes des éditions japonaises (ou américaines, celles-ci ayant repris le découpage japonais). Et pour ceux qui auraient lu le manga, cet ouvrage comprend les huit premiers volumes.

Personnellement j'ai trouvé que le roman ressemblait beaucoup à un cosy mystery. Un schéma se met rapidement en place : Jinshi confie une mission à MaoMao qui se met à enquêter. Par sa sagacité et sa curiosité elle découvre rapidement le pot aux roses. Au fur et à mesure de ses "enquêtes", elle aide divers personnages et agrandit ainsi son cercle d'alliés. MaoMao emprunte beaucoup à Sherlock Holmes par son souci du détail, son obsession à résoudre les énigmes, son complexe de supériorité et son désintéressement dans les choses matérielles. 

Mais la vie privée des héros n'est pas en reste. Très vite le lecteur est amené à s'interroger sur deux mystères qui servent de fil rouge à l'histoire. Il y a d'abord la question des origines de MaoMao. Ce n'est que petit à petit que nous apprenons les détails de sa vie mais aussi de sa naissance. Encore plus mystérieux, l'identité réel de Jinshi est un véritable enjeu du roman. Sur ce point l'autrice joue avec nous, parsemant le récit d'indices et de fausses pistes. 

Info : publié en vo (japonais) en 2011, la série compte actuellement 11 volumes / publié en français en 2022 chez Lumen au prix de 17€ il réunit les tome 1 et 2 de la version japonaise / le tome 2 des éditions Lumen paraîtra en 2023.

 

Publicité
Publicité
5 février 2023

Littérature d'Europe #2 : Allemagne, Espagne et Italie

En début d'année j'apprécie particulièrement les romans de littérature contemporaine. C'est aussi l'occasion de rattraper un peu la rentrée littéraire de l'automne précédent.

 

J'ai ainsi découvert le très joli texte de l'autrice allemande Stefanie vor Schulte, Garçon au coq noir.

Garcon-au-coq-noirhappy smiley

 

L'histoire se déroule hors du temps et de l'espace, dans un pays en ruine où la guerre fait rage. Dans un village où règnent la bêtise et la méchanceté, Martin, un garçon doux et réfléchi, a grandi seul, avec pour seul compagnon un coq noir que les villageois prennent pour le Malin. Lorsqu'un peintre arrive au village, il est bien décidé à partir avec lui.

Ce récit est à mi-chemin entre le conte et la fable. Tout au long de leur itinérance, Martin et son coq rencontreront divers personnages et seront confrontés à toute la violence, la bêtise et la misère de l'humanité. Face à elles, le jeune héros y oppose son courage, son intelligence et sa bonté. Personnage lumineux, c'est notamment pour lui que le lecteur tourne fébrilement les pages, espérant que l'autrice se montrera clémente, malgré les injustices et les horreurs auxquelles il doit faire face à chaque nouvelle étape de son voyage. 

L'utilisation du réalisme magique, notamment à travers ce coq noir à la fois source de peur (pour les villageois) et de réconfort (pour Martin), est parfaitement adaptée au texte et participe à cette impression de flottement. Si le folklore slave n'intervient pas dans cette histoire, Stefanie vor Schulte lui emprunte son atmosphère. Au fil des pages, je n'ai pu m'empêcher d'évoquer de précédentes lectures telles Dieu, le temps, les hommes et les anges de l'autrice polonaise Olga Tokarczuk ou Les Groseilles de Novembre de l'estonien Andrus Kivirähk. 

Info : paru en vo (allemand) en 2021 sous le titre Junge mit schwarzem Hahn / paru en français en 2022 aux éditions Héloïse d'Ormesson au prix de 19€.

 

Beaucoup plus léger, j'ai passé un bon moment avec l'auteur espagnol Gabri Ródenas et La Mémé qui pédalait autour du Monde. 

la-meme-qui-pedalait-autour-du-mondeliked it

 

Mémé Maru est une femme de 90 ans, née orpheline, ayant vécu toute sa vie dans le plus grand dénuement et ayant appris avec l'âge à ne s'attacher à aucune chose matérielle. Elle n'a qu'un seul regret : sa relation avec son fils. Quand elle apprend l'existence d'un petit-fils ayant lui aussi grandi dans un orphelinat, elle décide de partir à sa recherche. Montée sur son vélo, elle suivra les nombreux signes qui se mettront sur sa route sous l'apparence de rencontres fortuites.

Ce texte-ci s'apparente beaucoup à du développement personnel. Tout au long du voyage, Mémé Maru partage sa philosophie de vie avec les personnes qui croisent son chemin. Evidemment, ces conseils et ces réflexions c'est à nous que l'auteur les adresse.

Malheureusement cet aspect "apprentissage" prend le pas sur l'histoire. Des pages entières y sont consacrées. Le voyage quant à lui se déroule comme dans un rêve. Le roman ne contient aucune péripétie. L'héroïne va simplement de rencontre en rencontre, traversant le Chili sans croiser aucun obstacle. 

Même si je ne suis pas adepte de ce genre d'ouvrage, j'ai apprécié ma lecture. Le personnage de Mémé Maru est particulièrement attachant, avec des qualités et des valeurs que j'aime trouver dans mes livres. Par ailleurs, bien que Gabri Ródenas nous l'amène avec ses gros sabots, sa philosophie de vie m'a parlé, peut-être parce qu'elle se rapproche beaucoup de la mienne.

Et puis parfois il est agréable de se laisser porter par une histoire en sachant qu'il ne se passera rien de grave, que les gens sont bons et gentils, que la fin sera forcément heureuse... 

Info : paru en vo (espagnol) en 2018 sous le titre La abuela que cruz el mundo en una bicicleta / paru en français en 2022 aux éditions Michel Lafon au prix de 17,95€.

 

Pour l'Italie, je triche un peu. Si Ce que nous confions au vent de Laura Imai Messina a bien été écrit et publié en italien, l'histoire, elle, se déroule au Japon, pays où l'autrice a fait sa vie.

9782264082497ORIliked it

 

Sur le mont Kujira-yama, au milieu d'un magnifique jardin, se dresse une cabine téléphonique : le Téléphone du vent. Les personnes endeuillées viennent y dire leurs messages à destination de leurs proches disparus. C'est le cas de Yui.

Je n'irai volontairement pas plus loin dans le résumé car le texte est assez court et les péripéties peu nombreuses. Ce que nous confions au vent est un roman sur le deuil et la résilience. Le lecteur découvre au fil des pages l'impact qu'a eu ce téléphone sur la vie de Yui, et également sur celle d'autres personnages qu'elle croisera sur place.

La plume est fluide, les chapitres courts. Laura Imai Messina nous offre un joli récit plein de poésie, triste à certains égards mais également plein d'optimisme. Il manque peut-être quelques scènes impactantes qui lui auraient donné plus de force. Mais l'autrice s'est nourrit de la littérature de son pays d'adoption, et on y retrouve le rythme lent des romans japonais, leur simplicité.

J'ai beaucoup aimé les petits chapitres intermédiaires parsemés dans le livre, des petits faits anodins - ou pas - illustrant l'histoire (Deux choses que découvrit Yui en cherchant le mot "câlin" sur Google, Les différents papiers que la vendeuse de la librairie proposa à Yui pour recouvrir son livre, etc.).

Info : paru en vo (italien) en 2020 sous le titre Quel che affidiamo al vento / paru en français en 2021 aux éditions Albin Michel / paru en poche en 2023 chez 10x18 au prix de 8,30€.

 

20 juin 2022

Littérature d'Europe : Espagne, Suède et Pologne

Je me suis rendue compte que j'avais tendance à privilégier des ouvrages français. J'ai toujours eu un problème avec les traductions. Ne pas avoir accès aux mots exacts de l'auteur me frustre. Je suis de plus consciente que toute traduction est subjective et correspond en quelque sorte à une interprétation de l'oeuvre. Pourtant l'Europe est riche d'auteurs et l'ouverture est l'un des fondements de la littérature... J'essaie donc de faire des efforts.

 

Partons en Espagne. La Reine du Sud d’Arturo Perez-Reverte a tout pour effrayer (sa thématique, sa longueur), ce qui explique qu’il m’a fallu quelques années pour oser m’y attaquer. Comme beaucoup j’avais d’abord découvert Teresa Mendoza à travers ses deux adaptations sur le petit écran, jouée d’abord par Kate del Castillo puis par Alice Braga.

Reine du SudKiss

Mais contrairement aux séries, l’action du roman se déroule au Maroc puis en Espagne. Suite à la trahison de son fiancé envers son cartel, Teresa se retrouve obligée de tout abandonner et de fuir le Mexique pour sauver sa vie. Pourtant elle va connaître une montée fulgurante et devenir en une décennie une dangereuse femme d’affaire à la tête de la plus grosse entreprise de transport de drogue en Méditerranée. Dès le début nous savons ce que deviendra Teresa Mendoza et étrangement c’est ce qui nous la rend sympathique. Comment ne pas admirer sa résilience après tous les drames qu’elle a dû traverser…

Le génie d’Arturo Perez-Reverte est d’avoir choisi comme narrateur pour cette histoire un journaliste d’investigation. C’est à travers lui que le lecteur remonte les années grâce à des interviews, des données chiffrées, des explications détaillées du fonctionnement du trafic de drogue en Méditerranée et des enjeux politiques dans les années 90. Il s’agit ainsi d’un récit extrêmement dense avec beaucoup d’informations techniques qui lui donnent un côté très journalistique (bien que la plupart du roman soit raconté comme n’importe quelle histoire à la 3e personne).

Le parcours de Teresa est surtout ponctué de rencontres. Même si le personnage sort du lot par sa ténacité, son intelligence et sa patience, sa vie est finalement déterminée par quatre personnes qui vont tour à tour la mener vers sa destinée. Cela est souligné par la construction du roman, la séparation des chapitres et l’agencement des péripéties. C’est ce travail sur le schéma narratif qui m’a le plus impressionnée. Le scénario est parfaitement millimétré. Ce roman m’a fait penser à un jeu d’échec ou Teresa serait la Reine.

Info : publié en vo (espagnol) en 2002 / publié en 2003 en français chez Seuil / disponible en poche chez Points au prix de 8,90€.

 

 

Changement total de décor et de genre : direction la Pologne. Olga Tokarczuk est Prix Nobel de littérature. Dieu, le temps, les hommes et les anges est l’un de ses premiers romans.

Dieu, le temps, les hommes et les angesliked it

Le lecteur suit sur deux à trois générations le destin d'habitants d'un petit village polonais, le récit commençant au début de la Première Guerre Mondiale.

La grande originalité du roman tient dans la plume de l'autrice et surtout au réalisme magique qu'elle saupoudre dans son roman à très petite dose. Ainsi, c'est le prologue qui m'a conquise. Une personne qui aurait ouvert le livre à l'aveugle se serait cru dans un roman de fantasy, présentant Antan comme un lieu hors du temps et du monde. A différents moments du récit, à travers les prismes de la religion, la nuit, la nature, un jeu, l'enfance... les personnages se trouvent soudain plongés dans une situation appartenant au merveilleux de façon la plus naturelle, avant de retomber dans leur quotidien. 

Ces moments sont toutefois évanescents. Ils se situent surtout dans la première partie du roman, donnant l'impression que la magie s'éteint peu à peu face aux violences de la Seconde Guerre Mondiale qui viennent dévaster la vie paisible d'Antan (la Première n'ayant jamais franchit ses frontières). De là à croire à une métaphore, il n'y a qu'un pas, car Dieu, le temps, les hommes et les anges n'a pas d'intrigue, si ce n'est de raconter la vie de quelques familles semblables à tant d'autres. Bien sûr les personnages ne sont pas épargnés par les drames mais la narration ne s'y attarde pas. La multiplication des points de vue augmente encore cette impression de fugacité. 

Finalement j'en suis ressortie un peu frustrée sans avoir réussi à m'attacher aux personnages, mais en ayant conscience d'avoir rencontré une plume qu'il me faudra découvrir dans des textes peut-être plus récents.

Info : publié en vo (polonais) en 1996 / publié en français en 1998 aux éditions Robert Laffont / disponible chez le même éditeur dans la collection Pavillon poche au prix de 9,50€.

 

 

Notre dernière étape nous mène en Suède. Entre document et récit biographique, Patrick Svensson réussit à notre plus grand étonnement à nous passionner pour son Evangile des anguilles.

L'évangile des Anguilleshappy smiley

Saviez-vous que l'anguille ne se reproduit qu'à un seul endroit sur la planète ? Qu'elle change d'aspect plusieurs fois dans sa vie ? Que longtemps les hommes ont crû qu'elle se reproduisait par parthénogenèse ? Qu'elle fut l'objet de nombreux mythes ? Qu'elle aujourd'hui en voie de disparition ? Qu'aujourd'hui encore nous n'avons jamais vu de nos yeux un oeuf d'anguille ? 

Cet ouvrage nous entraîne dans une véritable épopée sur les traces d'un poisson qui n'a pas encore livré tous ses secrets. C'est un voyage à travers l'Histoire et la Science que nous propose l'auteur. Patrick Svensson nous dévoile l'énigme de l'anguille en nous embarquant à travers les siècles à la rencontre d'Aristote, Freud et d'autres scientifiques moins connus mais faisant partie de la légende. Etonnement le sujet nous emmène vers une palette de thématiques très diversifiée : biologie, écologie, traditions, mythologie, théologie...

En parallèle, dans de courts chapitres, l'auteur nous livre son histoire personnelle, ou plutôt celle de son père avec qui il partagea la passion de ce poisson pas comme les autres. Véritable hommage tout en retenu, le texte nous dresse le portrait d'un homme simple, peu bavard, mais prêt à se lever avant l'aube malgré un travail épuisant pour passer quelques heures magiques avec son fils. Ces petites bulles d'enfance permettent d'alléger des passages certes passionnants, mais parfois un peu complexes, malgré les dons certains de vulgarisation scientifique de Patrick Svensson.

Par cette façon fluide, poétique et philosophique de nous présenter les choses, le lecteur oublie peu à peu qu'il tient entre ses mains un ouvrage de non-fiction. 

Info : paru en vo (suédois) en 2019 sous le titre Ålevangeliet / paru en français en 2021 au Seuil au prix de 19,50€.

 

12 juin 2022

Littérature d'Afrique : Cameroun, Nigéria et République du Congo

Je souhaite depuis quelques temps lire davantage de fictions sur l'Afrique par des auteurs d'Afrique. Je vous présente ici mes dernières découvertes en espérant qu'il en viendra d'autres.

 

Commençons avec Les impatientes de Djaïli Amadou Amal, militante féministe Camerounaise, qui a fait beaucoup parler d'elle en recevant le Goncourt des lycées 2020. Ce roman est un petit bijou que je conseille régulièrement autour de moi.

Les impatientescoup de coeur

A travers trois points de vue de femmes appartenant à une communauté peule du XXIe siècle, l'autrice nous dévoile l'horreur du mariage précoce et forcé, la polygamie subie, le viol et les violences conjugales... dans une société où les femmes n'ont pas leur mot à dire et où l'époux est roi. Cette fiction est inspirée de faits réels, Djaïli Amadou Amal ayant elle-même vécu ces situations.

Ce récit est terriblement dur. Il m'a fallu de nombreuses pauses pour le lire en entier. Impossible de ne pas être révolté par un fort sentiment d'injustice à la lecture de ces lignes. Sans échappatoire, ces femmes sont aux désespoir. Mais ce qui est sûrement encore plus terrible, c'est de voir les victimes devenir bourreaux. Enfermées chez elles, obligées de lutter pour l'affection d'un homme qu'elles n'ont pas choisi mais dont leurs conditions de vie dépendent, ces épouses se livrent une véritable guerre pouvant aller extrêmement loin. En tant que femme occidentale j'en suis ressortie avec une impression de déchéance qui a encore amplifié mon sentiment de révolte face à ces hommes utilisant la religion et la tradition pour soumettre ces esprits vifs et plein d'espoir.

L'écriture de Djaïli Amadou Amal est fluide, extrêmement facile à lire, ce qui amplifie encore les scènes violentes. Celle-ci ne sont d'ailleurs pas nombreuses car suffisamment explicites en soi. Finalement c'est la violence du quotidien qui est la plus présente : l'indifférence des parents, le jugement des autres, la solitude extrême, la soumission révoltante mais nécessaire au mari...

Info : publié en vo (français) en 2020 aux éditions Collas / publié au Livre de poche en 2022 au prix de 7,90€.

 

***

Autre roman engagé mettant en scène une femme, Les Aquatiques a été écrit par la réalisatrice franco-camerounaise Osvalde Lewat. Vivant en France, elle a également vécu dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne. L'ouvrage a reçu le Grand Prix panafricain de littérature.

Les Aquatiquesthinking

 

Le roman se déroule dans un pays d'Afrique subsaharienne imaginaire, le Zambuena. Katmé est l'épouse du préfet de la capitale et mère de deux filles. Son meilleur ami, Samuel, est un artiste engagé qu'elle soutient financièrement depuis des années et qui prépare sa première exposition solo dans une galerie. En quelques semaines plusieurs événements vont remettre en cause ses choix de vie. Le livre étant long à commencer, décrire ces événements reviendrait à vous spoiler la moitié du récit. Je vous invite donc à aller au-delà des cent premières pages avant de décider ou non d'abandonner votre lecture. 

Les Aquatiques a été présenté comme une critique du pouvoir et des traitements auxquels sont exposés les femmes et les homosexuels dans l'Afrique contemporaine. Je serai peut-être moins catégorique. J'y ai en effet vu le récit d'émancipation d'une femme. La vie de Katmé est faite de concessions constantes pour la carrière d'un époux qui n'en fait aucune.  Depuis longtemps elle a abdiqué et n'a plus la force de se battre. Samuel est son unique ami, celui à qui elle peut tout dire. C'est en perdant ce seul soutient que Katmé va enfin réagir. Cette passivité de l'héroïne me l'a d'ailleurs rendue antipathique une bonne partie du roman.

L'Afrique qui nous est présentée ici est un monde d'apparences. C'est d'autant plus de cas pour Katmé (femme de préfet) et Samuel (artiste engagé). Tout est politique, or seuls ces deux personnages semblent ne pas s'en rendre compte. Bêtise ? Naïveté ? Les deux amis font l'autruche et vont chèrement le payer. En tant que femme et homosexuel dans une Afrique patriarcale, les protagonistes semblent oublier que leur genre et leur sexualité les mettent automatiquement en danger s'ils décident d'aller à contre-courant du pouvoir en place.

Mais davantage que l'histoire de Katmé et Samuel, je retiens surtout l'ambivalence de cette Afrique qui se veut progressiste mais dont la société est rapide à condamner l'altérité. Certes, l'intérêt des élites prime, mais comme partout dans le monde. Or il y règne également une ambiguïté extrême : entre démocratie et traditions, admiration de la modernité européenne et violent rejet de ses valeurs, préceptes chrétiens et obsession de l'argent. C'est l'hypocrisie qui est ici pointée du doigt : une femme est libre d'épouser celui qu'elle veut, mais si elle demande le divorce elle sera mise au ban de la société ; l'homosexualité est interdite mais personne n'a été condamné car les accusés plaident tous "non coupable", vivant ainsi dans la clandestinité. Tout cela est parfaitement accepté par tous. Ainsi Katmé, informée de la sexualité de Samuel depuis le lycée, ne s'est jamais interrogée sur les difficultés vécues par son ami. 

La critique n'épargne pas les occidentaux installés au Zambuena. On pense ainsi à Aleksandre, noir mais français, venu le temps d'un contrat pour l'UE, se permettant de faire la morale à Katmé sans prendre en considération sa position, son sexe et la réalité sociale du pays. Les femmes d'ambassadeur quant-à elles sont prêtes à faire la charité mais refusent tout ce qui pourrait être interprété comme de l'ingérence même pour sauver une vie.

Or le drame ne viendra pas des élites mais bien de la population. Katmé devra davantage se battre contre les femmes de sa famille que contre son mari. Finalement ce roman parle moins de politique que de société. 

Info : publié en vo (français) en 2021 aux éditions Les Escales au prix de 20€ / sera publié en poche chez Pocket en août 2022 au prix de 7,95€.

 

***

Ma vie dans la brousse d'Amos Tutuola est le livre le plus ancien de cet article. Cet auteur Nigérian (de langue anglaise) est d'ailleurs décédé en 1997. Cette fois nous embarquons dans de la fantasy africaine.

Ma vie dans la broussethinking

Fuyant pour sa vie, un jeune garçon traverse la frontière menant au pays des fantômes. Dès lors, il ne va avoir de cesse de chercher à retourner dans son monde. Allant de ville en ville, échappant constamment à la mort, il va vivre de nombreuses aventures. 

Ma vie dans la brousse est un conte populaire qui s'apparente beaucoup à nos contes occidentaux par sa forme. Les péripéties s'enchaînent à une vitesse folle, les personnages et les situations ne sont pas développés. L'auteur nous embarque dans une fuite en avant qui durera de très nombreuses années. Ce rythme affolant donne le vertige et rend difficile la prise en main de l'histoire. Malgré ma bonne volonté, j'ai eu du mal à retenir les noms, les lieux, les événements. 

Le tout donne une impression d'invraisemblance proche du grand guignol. Mais je me suis prise au jeu. Face à des situations plus dingues les unes que les autres, je me suis amusée à découvrir grâce à quel retournement de situation le héros parvenait à s'en sortir. 

Par ailleurs il était plaisant de découvrir le folklore nigérien. Chaque monstre et fantôme a ses particularités physiques et psychiques. Très loin des traditions européennes, les descriptions sont assez étonnantes (et effrayantes). Ce dépaysement total était très rafraîchissant et finalement assez marquant (même si je suis dans l'incapacité de nommer un seul nom). 

Ma vie dans la brousse fait suite à L'ivrogne dans la brousse. Quelques passages y font référence. Toutefois les deux histoires étant indépendantes, je n'ai pas eu l'impression d'un manque.

Info : publié en vo (anglais) en 1954 sous le titres My life in the bush of ghosts / publié en français chez Belfond en 1988.

 

 ***

Alain Mabanckou est un auteur Congolais. Ayant quitté son pays pour la France à l'âge de 20 ans, il vit désormais aux Etats-Unis. Comme pour la majorité de ses romans, l'action des Cigognes sont immortelles se déroule dans les années 1970 en République Démocratique du Congo.

Les Cigognes sont immortelleshappy smiley

En mars 1977 le camarade président Marien Ngouabi et tous ses proches sont assassinés lors d'un coup d'Etat. Les événements vont impacter la vie de Michel, jeune adolescent lunatique de Pointe Noire. A travers lui, le lecteur va être témoin des conséquences de ce putsch qui va donner lieu à une véritable chasse aux sorcières et accentuer les tensions déjà grandes entre les ethnies. 

Comme vous l'aurez deviné, Les cigognes sont immortelles est un roman politique et sociétal. L'histoire se déroule sur les trois jours faisant suite à cet assassinat. L'attaque par ce texte contre les groupes politiques du pays et le post-colonialisme sont évidents. Toutefois Mabanckou prend du recul en choisissant Michel comme héros de son récit, mais également en plantant son décor à Pointe Noire (le coup ayant eu lieu à Brazzaville). 

Il y a ainsi dès les premières pages une prise de distance. L'auteur fait même preuve d'humour en décrivant le quartier et ses habitants du point de vue de Michel, personnage clairement inspiré de sa propre enfance. Au-delà des événements politiques c'est son quotidien que nous découvrons, ses préoccupations bien loin de celles des adultes, sa vie de famille avec Maman Pauline et Papa Roger, ses amitiés, mais aussi sa vision du monde et ses valeurs.

Par cet intermédiaire naïf, Alain Mabanckou nous dévoile les problèmes sociaux et politiques du Congo des années 1970. Ainsi malgré le sujet complexe du roman, cette narration permet d'entrer très facilement dans l'histoire. La plume de l'auteur y est aussi pour beaucoup. Il sait retrouver la fraîcheur de l'enfance pour mettre en scène ses doubles autobiographiques. Véritable conteur, il réussit à faire tomber les barrières géographiques, temporelles et culturelles.

Info : publié en vo (français) en 2018 aux éditions du Seuil / publié en poche chez Points en 2019 au prix de 7,50€.

 

***

Ce dernier ouvrage est un peu différent. Mamba Point Blues a été écrit par Christophe Naigeon. Reporter français il a vécu pendant trente ans en Afrique pour couvrir tous les grands événements. Ce roman ne se déroule pas intégralement en Afrique, mais le continent est au coeur du récit. J'ai donc fait le choix de l'intégrer ici.

Mamba-Point-BluesKiss

Mamba Point Blues est une très belle épopée qui suit Jules Canot, fils de colons noirs sénégalais à travers l'Europe, les États-Unis et l'Afrique, durant la première moitié du XXe siècle. 

L'ouvrage commence à la fin de la 1ère guerre mondiale et sa rencontre avec le grand amour de sa vie, une alsacienne mariée à une gueule cassée. Le jeune homme, traducteur dans l'armée française, va rapidement se révéler être un génie des percussions. A travers cette passion, il va se faire de nombreux amis qui le mèneront jusqu'en Amérique. La musique a ainsi un rôle très important dans le roman, lui apportant une atmosphère toute particulière. Joséphine Baker est d'ailleurs un personnage secondaire majeur. Nous aurons même le plaisir de croiser Louis Amstrong. Poétique et rythmique, la plume de Christophe Naigeon danse elle aussi au rythme des mouvements de Jules. 

Jules est un personnage extrêmement attachant qui séduit rapidement le lecteur par les valeurs qu'il défend. Il se montre d'ailleurs d'une sagesse étonnante pour son âge (il a 19 ans au début du livre). S'il ne se revendique pas engagé pour la cause noire, les événements auxquels il est confronté pendant ses années aux États-Unis font écho aux mouvements actuels #blacklivesmatter. Le personnage de Diane, héroïne à part entière dans la première moitié du récit, est d'ailleurs très investie dans la lutte pour les droits des afro-américains et des femmes.

En parallèle de l'histoire du XXe siècle, nous allons découvrir à travers Jules, Diane et leurs ancêtres l'histoire du Libéria, pays dont j'ignorais tout. C'est pour moi l'aspect le plus intéressant de ce roman. Il fut le lieu d'enjeux politiques et sociales pour les afro-américains. Présenté comme Terre Promise aux anciens esclaves, le Libéria vit arriver sur son territoire des colons d'un genre nouveau, mais qui comme les autres soumirent la population et lui imposèrent leur vision de la civilisation. Christophe Naigeon nous invite à découvrir cette colonisation qui n'en portera pas le nom et l'histoire de cette terre jusqu'aux années 60.

Pour moi ce roman est une lettre d'amour à l'Afrique et à la musique. Dense et très bien documentée, cette saga familiale sur plusieurs décennies se dévore. Jules et les siens traversent les tourments de l'Histoire, vivent des drames, mais restent droits et honnêtes, toujours ouverts aux autres et plein d'espoir dans l'avenir (même quand les événements ne leur donnent pas raison).

Info : publié en vo (français) en 2021 aux éditions Presses de la Cité au prix de 21€ / il sera publié en poche chez Pocket en septembre 2022 au prix de 9,50€.

 

24 avril 2022

Imaginaire adulte : récits courts et page-turner

Je vous propose aujourd'hui un petit plongeon dans des romans de SFFF dont vous ne ferez qu'une bouchée en raison de leur longueur réduite ou de leur rythme effréné.

 

Le Mystère du tramway hanté de P. Djélí Clark est le texte le plus court des lectures d'aujourd'hui. Cette novella est une sorte de tome 2 ou spin-off à L'Étrange Affaire du djinn du Caire. Toutefois elle peut se lire indépendemment, les deux histoires mettant en avant des personnages et des enquêtes différents.

le_mystere_du_tramway_hante20220221185825535220

 

Au Caire, au début du XXe siècle, l'agent Hamed Nasr et la jeune recrue Onsi Youssef, travaillant pour le Ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles, sont chargés d’un cas d’apparition. Mais rapidement les deux hommes se rendent compte que ce qu'ils prenaient pour une banale affaire dépasse leur niveau d'expertise.

Comme beaucoup l'uchronie est un genre qui me fascine. Plus courante en science-fiction, c'est avec plaisir que je la vois de plus en plus dans la fantasy (ou le fantastique). Dans l'univers de P. Djélí Clark, un mystique du XIXe siècle a réussi à ouvrir un portail en Egypte entre le monde des Djinns et le nôtre. Les Djinns, formidables bâtisseurs, ont transformé le pays en quelques décennies, faisant de l'Egypte l'une des trois puissances mondiales. 

La fantasy uchronique est un genre fascinant jouant sur les données historiques et sociologiques, tout en transformant le monde connu en un nouvel univers. L'idée de placer son action en Égypte est d'autant plus intelligente que le lecteur occidental est totalement dépaysé dès les premières lignes. Sous sa plume, l'auteur réussit à faire vivre le Moyen-Orient, ses odeurs, sa chaleur, sa nourriture. J'ai apprécié découvrir des créatures surnaturelles inconnues en occident. La thématique du droit de vote des femmes a été la cerise sur le gâteau.

Ce Caire à la fois moderne et magique aurait été passionnant à explorer davantage. Malheureusement l'enquête étant l'intrigue principale de cette novella (de seulement 100 pages), elle occupe la majorité du récit. Or j'avoue que celle-ci ne m'a pas passionnée. Une entité qui squatte un tramway, on a fait plus romanesque comme point de départ. Je trouve dommage que les auteurs de SFFF mettent aussi souvent une enquête au cœur de leur histoire. Je comprends que cela facilite la prise en main de l'univers par le lecteur tout en offrant à l'écrivain un fil rouge facile à suivre, mais cela devient répétitif à la longue. J'imagine que pour en savoir plus sur l'univers je devrai lire les autres enquêtes du Ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles...

Info : paru en vo (anglais américain) en 2019 / paru en français en 2021 aux éditions L'Atalante au prix de 10,90€.

 

Parlons maintenant d'une nouveauté française 2022, qui est également un premier roman d'à peine plus de 200 pages : Dans la neige ardente d'Olivier Gallien. 

dans_la_neige_ardentehappy smiley

Dans une ville divisée en deux, le monde semble avoir sombré dans l'Apocalypse. Le Nord, sans cesse bombardé, est en ruine. Au Sud les habitants sont livrés à eux-mêmes pour survivre, affamés et recevant les émanations chimiques des bombes lâchées de l'autre côté de la frontière. Hugo assiste ainsi tous les soirs à l'anéantissement de ses proches, partis au Nord pour créer ce qu'ils espéraient devenir une utopie. A quelques kilomètres de là, Pauline s'est réfugiée dans les anciens tunnels du métro. Depuis les entrées ont été bouchées, condamnant les survivants à une lente mort.

Sans hésitation je place ce roman dans la science-fiction. Si les événements peuvent faire penser à des faits historiques du XXe siècle, et qu'aucun lieu ni aucune date ne sont donnés, il ne fait aucun doute que cette histoire se déroule à notre époque (ordinateurs, jeux vidéo, cloud, drones).  Dans la neige ardente se passe dans un futur proche (très proche). Personnellement j'ai située l'action à Paris, mais elle pourrait avoir lieu dans n'importe quelle grande ville occidentale. 

Ce flou est souhaité par l'auteur. A part quelques indices, le lecteur ne saura jamais ce qu'il s'est réellement passé. Tout l'intérêt du livre est de nous mettre face aux conséquences. Or le monde qui s'offre à nous est lugubre. Tout le long de ma lecture j'ai été prise à la gorge par cette absence d'espoir qui suinte de chaque page. La ville est en ruine. Les habitants encore vivants sont devenus sans foi ni loi. Même les enfants ne sont plus innocents. Tout n'est plus qu'une question de survie. L'auteur ne nous épargne pas quelques scènes glaçantes (mais jamais gratuites). Le manque d'information contribue à la violence du récit.

Alternant entre les points de vue de Pauline et Hugo, l'intrigue se passe sur quelques jours. Malgré ce qu'ils vivent, je n'ai pas pu avoir d'empathie avec ces héros que nous prenons en cours de route quand le pire est déjà arrivé et que le désespoir les a déjà poussés au-delà des frontières morales (extorsion, meurtre). Tout comme pour le reste, nous n'aurons pas de flashbacks pour nous présenter les personnes qu'ils étaient avant. Il n'y a pas de retour en arrière. 

Dans la neige ardente est d'un réalisme crû, d'autant plus angoissant qu'il est plausible. 

Info : paru en vo (français) en 2022 aux éditions Robert Laffont au prix de 17€.

 

Côté fantasy, mon coup de cœur 2022 est une grosse surprise : Songes d'Irlande, Tome 1 Révélations de Nora Roberts.

RevelationsKiss

Breen a vécu toute sa vie en doutant d'elle-même, rabaissée sans cesse par sa mère. Quand elle découvre que cette dernière lui a menti concernant son père dont elle était très proche et qui a disparu du jour au lendemain, elle décide de partir en Irlande. En compagnie de son meilleur ami, Marco, elle espère ainsi se reconnecter à ses origines irlandaises, et peut-être retrouver son père. Mais elle est loin de se douter que les histoires fantastiques qui ont bercé son enfance sont réelles et que ses origines prennent racines dans un autre monde...Talamh.

 

J'ignorais que Nora Roberts écrivait autre chose que de la romance, et il semble que cette histoire soit sa première incursion dans la fantasy pure. Or en mettant sa plume habituée à la romance, par conséquent facile et fluide, au service d'un genre généralement plus complexe, l'autrice nous offre un roman extrêmement immersif. 

D'ailleurs l'intrigue prend son temps pour se mettre en place. Pendant tout la première partie, le lecteur apprend à connaître Breen et Marco. En développant cette amitié qui remonte à leur enfance, le récit rend les protagonistes d'autant plus attachants, et le lecteur comprend rapidement que cette relation (platonique) sera au cœur de l'histoire.

Malheureusement, cela n'empêche pas une certaine frustration. Il s'agit d'un premier tome extrêmement introductif. De même que l'aspect ''fantasy'' met du temps à arriver, le reste du livre est principalement dédié à la découverte de Talamh. L'univers comme les enjeux et les relations entre les personnages s'installent en douceur. Il est évident que la véritable action ne débutera que dans le second tome. Toutefois pour ma part je trouve que ce rythme peut être un atout. En effet, pour une personne peu habituée à la fantasy, cette lente introduction facilite son immersion dans ce nouvel univers. Nous le découvrons en même temps que Breen, et par conséquent impossible de s'y perdre. 

Pour ma part je suis tombé amoureuse de Talamh. L'absence d'action ne me gêne pas en fantasy car je privilégie toujours le worldbuilding.  Or ce monde est littéralement magique ! Entre mythologie celtique et magie blanche moyenâgeuse, on y retrouve toutes les créatures des contes occidentaux (dragons, elfes, fées...). Surtout, ce monde est particulièrement bienveillant. Les communautés humaines s'entraident. Les différentes races coopèrent ensemble. L'argent n'a pas de valeur...

Evidemment il y a une romance, mais comme le reste elle prend son temps. Car il est surtout ici question de Breen et de sa prise de confiance en elle. Loin de régler ce problème en quelques pages, Nora Roberts comprend que des années de maltraitance psychologique ne s'effacent pas en quelques semaines. J'ai apprécié que l'héroïne ne dépende pas d'un homme pour la "sauver" d'elle-même.  Son évolution est au centre de la trilogie, d'où les titres des trois tomes : Révélation, Trahison, Choix.

Bien sûr, je suis parfaitement consciente que cette nouvelle saga n'est absolument pas faite pour les gros lecteurs de hard-fantasy. Ne vous attendez pas à de longues batailles, à des personnages complexes ou à des scènes choquantes. Si l'histoire est lumineuse, elle n'échappe pas à une certaine naïveté (voire facilité). Mais pour moi cela fait partie intégrante de son charme. Songes d'Irlande s'adresse au même lectorat que Deborah E. Harkness.

Info : paru en vo (anglais américain) en 2020 sous le titre de The Awakening, The Dragon Heart Legacy 1 aux éditions St. Martin's Press / paru en français en 2021 aux éditions J'ai Lu au prix de 15,90€ / le tome 2 sera disponible en français en mai 2022.

 

Maintenant si vous recherchez un roman page-turner à dévorer en quelques jours, je vous conseille de laisser sa chance au roman de Philip Carter, Le Secret des glaces

Le secret des glaceshappy smiley

A la mort de sa grand-mère qu'elle croyait disparue bien avant sa naissance, Zoé se retrouve poursuivie par des assassins à la recherche de l'autel des ossements. Afin de comprendre la situation et de protéger ce qui ressemble à un héritage familial, notre héroïne doit suivre les indices cachés dans un courrier que lui a envoyé la vieille femme.

Mon résumé est assez succinct et il est très difficile de mettre ici tous les événements du début du récit qui ne semblent au premier abord pas liés entre eux. Sachez seulement qu'il est question d'une sorte de Fontaine de Jouvence un peu macabre et de l'assassinat avec un grand A. 

Si vous cherchez un livre d'action avec des explosions et des courses-poursuites, ce roman est fait pour vous. Dès le prologue le lecteur est pris à la gorge, les héros manquent de se faire tuer toutes les dix pages et les méchants apparaissent à tous les coins de rue. Je pourrais comparer cet ouvrage au Da Vinci Code de Dan Brown sans l'aspect intello et la complexité des indices ; une sorte de dérivé simple et sans prise de tête. Mais la comparaison peut aussi se faire avec un épisode de Fast and Furious, tellement l'action et les affrontements s'enchaînent vite. Car si le roman fait 700 pages, les caractères assez gros, les chapitres plutôt courts et l'action toujours plus rapide dans une course-poursuite menant des Etats-Unis jusqu'en Sibérie, en passant par la Paris, Budapest et Saint-Pétersbourg, font de ce texte un page-turner difficile à lâcher.

J'ai apprécié la première partie du roman. Si divers personnages principaux et secondaires nous sont présentés, le temps apporté à chacun permet aux lecteurs de facilement s'y retrouver, d'autant que les gentils et les méchants sont rapidement identifiables. J'ai été impressionnée par la capacité de l'auteur à les introduire tout en les mettant directement dans le feu de l'action. 

J'ai toutefois eu du mal à m'attacher à Zoé que j'ai trouvée très mal écrite (hystérique à un moment, n'hésitant pas à mettre une balle entre les yeux d'un assaillant deux pages plus loin). Et que dire de l'agent Ry O'Malley, croisement entre James Bond et MacGyver, ayant des amis dans le monde entier, qu'il s'agisse de trafiquants internationaux ou de députés américains. J'ai trouvé les quatre grands méchants bien plus intéressants et j'ai pris plaisir à découvrir leur background. Mais cela a peu d'importance car il ne s'agit pas d'un roman où il est nécessaire d'apprécier les héros. 

Attention toutefois à ne pas trop attendre de ce thriller fantastique. Les événements racontés sont peu crédibles et extrêmement rocambolesques. Contrairement à Dan Brown ou à Steve Berry, Philip Carter semble se moquer des faits historiques. Voyez dans ce récit une lecture ludique sans conséquence. Vous l'oublierez sûrement très vite, mais vous aurez passé un bon moment.

Info : paru en vo (anglais américain) en 2011/ paru en français en 2013 aux éditions Robert Laffont au prix de 22€.

 

Le dernier livre de ce petit point lecture est également le plus ancien et son auteur le plus connu du lot : Une porte sur l'hiver de Dean Koontz.

Une porte sur l'hiver_557009e7812880a314833c600ccba5bb

Six ans après avoir été kidnappée par son père, chercheur en psychologie et passionné d'occultisme, Mélanie est retrouvée errant nue dans les rues de Los Angeles. Son père, en compagnie d'autres corps, est retrouvé affreusement mutilé. Alors que la petite fille semble s'être repliée sur elle-même, d'autres meurtres liés à l'affaire surviennent dans la ville. 

Peut-être novateur dans les années 80, j'ai personnellement trouvé ce récit très prévisible. Suite aux morts atroces subies par les victimes, la grande question est : qui-quoi-pourquoi-comment ? Tout le roman est bâti sur le suspens entraîné par cette interrogation. Or les réponses m'ont semblé assez évidentes dès le début du livre... pour être confirmées à la moitié.

J'ai toutefois continué ma lecture car j'espérais que le récit prenne un virage plus obscur qui dépasserait l'enquête de police. Le mot "occultisme" étant très souvent utilisé par l'auteur, il me semblait probable de découvrir davantage de choses sur le sujet tout en glissant vers le noir. Malheureusement cela n'a pas été le cas.

Il n'en reste pas moins que ce roman est un véritable page-turner. Le style est fluide. L'aller-retour entre les points de vue de différents personnages (principaux, secondaires voir anecdotiques) amplifie encore cette impression. L'accumulation des morts au fur et à mesure du récit joue également sur nos tendances voyeuristes. Il y a d'ailleurs quelques moments un peu horrifiques bien orchestrés qui m'auraient certainement fait frissonner si je n'avais pas tout deviné.

Toutefois j'ajouterai ici avoir été gênée par la façon de traiter certaines thématiques (désolée, no spoil), mais sa date de publication y est sans doute pour beaucoup. Je serais curieuse de découvrir un des textes les plus récents de Dean Koontz afin de voir son évolution.

Info : publié en vo (anglais américain) en 1985 / disponible aux éditions Pocket à 8€. 

 

Publicité
Publicité
27 mars 2022

Romans français : du feel-good à l'autobiographie

Voici un petit tour d'horizon de mes dernières lectures du genre dont je lis certainement le plus : la littérature contemporaine française. S'il ne s'agit pas d'une valeur sûre, j'en apprécie la diversité des thématiques.

 

Commençons pas une petite déception avec Quelques mots d'amour de Samuelle Barbier.

 so so

Victime de harcèlement moral et sexuel par son supérieur hiérarchique, Davina a perdu toute confiance en elle. Sa mutation à Libourne dans un centre postal de tri est un bon moyen de tourner la page. Son travail ? Retrouver les destinataires des colis perdus et des lettres mal adressées. Elle va ainsi suivre la correspondance à sens unique de Jem à Anne, son grand amour.

Le livre alterne entre le récit sur Davina et les fameuses lettres. Dans celles-ci Jem se remémore son histoire d'amour remontant à l'enfance et se déroulant sur plusieurs décennies. En toute honnêteté, il y a peu à dire sur ce roman où il ne se passe pas grand-chose. Si j'ai été attendrie par cet homme au cœur brisé, j'ai rapidement compris où l'autrice voulait en venir. Je pense que ce sera le cas de la majorité des lecteurs. L'humour est assuré par deux collègues de l'héroïne, donnant un peu de souffle, mais à peine, à ce récit doux mais très prévisible.

Les livres de Samuelle Barbier se présentent comme de vrais feel-good books, plein de bons sentiments avec une romance qui transcende l'espace ou le temps. Pour mettre en place son histoire elle utilise des sujets sensibles comme le harcèlement ou l'agoraphobie (cf. La Sirène et le Scaphandrier). C'est ici que le bât blesse car ces thématiques ne sont finalement que des outils (je dirais même des excuses) à la mise en place de l'intrigue. Alors qu'elles mériteraient d'être développées, elles laissent très rapidement la place aux histoires d'amour. 

Infos : publié en vo (français) aux éditions Hugo roman en 2021 au prix de 16,95€.

 

***

 

Dans un genre tout autre, Fatima Daas nous parle de religion et d'homosexualité dans son autobiographie La Petite Dernière.

La-Petite-derniereliked it

Le récit est constitué de courts chapitres commençant tous par ces quelques mots : "Je m’appelle Fatima Daas. Je suis...". A travers des allers et retours entre son enfance, son adolescence et sa vie d'adulte, la narratrice nous raconte sa famille, sa foi, sa relation à la féminité, sa découverte de sa sexualité, ses origines algériennes, son premier amour... Comme vous l'aurez compris, cette autobiographie fourmille de mille thématiques.

Envers et contre tout, c'est de sa plume dont je me souviendrai. Au-delà de son histoire qui a une portée universelle, j'ai été touchée par ce style simple mais poétique. La brièveté des chapitres accentue le dynamisme du récit, toujours en mouvement, allant sans cesse d'un souvenir à un autre. Les sauts temporaux nombreux et ne respectant aucune chronologie amplifient cette impression de chaos. Etonnement, j'ai rapidement pensé à Annie Ernaux alors que l'écriture de Fatima Daas est résolument moderne. Mais je ne me suis pas trompée, car quelques pages plus loin je tombais justement sur une citation de l'autrice de La Place

Mais peu à peu un fil rouge ressort de tous ces souvenirs : la difficulté d'être lesbienne et musulmane. Ado, Fatima n'assume pas son attirance pour les filles et se montre violente dès qu'elle est mise face à ses désirs secrets. Adulte, elle cherche l'approbation de figures d'autorité de l'Islam, en vain. Il est touchant de la suivre dans cette souffrance quotidienne sur de nombreuses années.

Toutefois il m'a personnellement manqué une étape, celle de l'acceptation de soi. Si nous lecteurs pouvons lire ce texte, c'est que Fatima Daas a arrêté de se cacher derrière l'histoire de la copine pour assumer au grand jour son orientation sexuelle. Mais il n'est question à aucun moment du déclic. Je ne parle pas du coming-out (ce livre l'est d'une certaine manière), mais du cheminement qui a mené l'autrice à ne plus interroger les imams, du moment où elle a décidé une fois pour toute que l'opinion des autres ne comptaient plus. 

Infos : publié en vo (français) aux éditions Noir Sur Blanc en 2020 / publié au Livre de poche en 2021 au prix de 7,40€.

 

***

 

Le Dit du Vivant de Denis Drummond est une lecture inclassable. Mais ne sachant où la placer, je triche un peu en la mettant ici. 

Le-Dit-du-vivanthappy smiley 

Au Japon un séisme fait surgir une ancienne nécropole. Elle met rapidement à mal la société scientifique, remettant en question tout ce que nous pensions savoir des origines de l'humanité. Sandra Blake, paléo-généticienne, intègre l'équipe de recherche. Elle amène avec elle Tom, son fils adolescent autiste. Le lecteur va suivre sur plusieurs années les fouilles du site et les découvertes bouleversantes qui en découlent.

Si la narration adopte plusieurs points de vue, Sandra et Tom en restent les acteurs principaux. Pour raconter cette histoire Denis Drummond varie les angles d'approche, donnant une fluidité appréciable à son roman : narration classique, correspondances diverses, journal intime, articles de presse... Mais l'auteur joue également avec la temporalité. Ainsi en plus du récit au présent, le lecteur est dépositaire du témoignage du Vivant, le dernier homme de la civilisation disparue, lui parlant d'un lointain passé ; mais également de celui de Tom devenu adulte, quelques décennies dans le futur. D'ailleurs le temps présent n'est pas celui du lecteur. Le Dit du Vivant se déroule dans un futur proche dont l'année n'est pas donnée directement mais révélée par un rapide indice.

Le Dit du Vivant est un roman étonnant, intelligent mais manquant de rythme. C'est en partie un livre de vulgarisation scientifique, s'attachant à nous expliquer l'archéologie et tout ce qui s'y rattache. Le roman comporte certains passages descriptifs assez arides sur l'organisation des fouilles. J'ai par contre beaucoup apprécié la façon dont sont traitées les répercussions mondiales de cette découverte : remise en question du darwinisme, incidences religieuses, contrecoups géopolitiques, concurrence entre les grandes universités... 

En parallèle le récit s'attache beaucoup à la relation mère-fils de Sandra et Tom, et à l'évolution de ce dernier sur qui les fouilles vont avoir une influence inattendue. Cet aspect offre un côté un peu plus humain à cette histoire qui peut déstabiliser facilement. Si la structure des chapitres suit toujours le même schéma, les allers-retours temporaux et les nombreuses informations scientifiques ne facilitent pas l'immersion du lecteur. 

Info : publié en vo (français) en 2021 aux éditions du Cherche Midi au prix de 19€.

24 mars 2022

Littérature d'Asie : nouveautés 2022

Chaque année, l'un de mes objectifs principaux est de lire davantage de littérature non occidentale. Malheureusement les sirènes des nombreuses nouveautés françaises, américaines et britanniques me font dévier de mon cap. Je suis ainsi contente de pouvoir vous parler ici de deux ouvrages d'auteurs japonais et chinois. 

 

Je commencerai par Le chat qui voulait sauver les livres de Sôsuke Natsukawa.

Le-Chat-qui-voulait-sauver-les-livreshappy smiley

Rintarô, orphelin, a vécu toute sa vie auprès d'un grand-père peu bavard, passionné de livres, qui tenait une librairie d'occasion dans laquelle les clients pouvaient trouver les grands classiques du monde entier. Suite à la mort de ce dernier, le lycéen s'apprête à quitter les lieux pour partir vivre avec une lointaine tante. C'est alors qu'un chat qui parle apparaît et lui demande de l'aider à sauver des livres. 

Ce roman, comme le laisse deviner la superbe couverture de NiL, prend l'aspect d'un conte universel, plein d'humanité et de poésie. C'est un livre doux, extrêmement réconfortant, dans le pur style de la littérature japonaise, par son atmosphère, ses personnages, son rythme. Les lecteurs d'auteurs japonais s'y retrouveront facilement. Pour ceux qui n'ont encore jamais essayé c'est un bon ouvrage pour tenter l'expérience.

Surtout, c'est un livre qui parle des livres et de notre relation à la lecture au 21e siècle. L'auteur questionne nos habitudes, les remet en cause.  La partie fantastique bien que très présente n'est à mon sens qu'une excuse pour permettre au héros d'argumenter avec diverses entités représentant chacune un pendant néfaste de nos pratiques contemporaines de lecture. On pense notamment à la lecture rapide, très à la mode en ce moment, aux réseaux sociaux qui nous encouragent à lire toujours plus, aux nombreuses nouveautés qui nous poussent à acheter davantage...

Le chat qui voulait sauver les livres a un petit quelque chose de philosophique. Il pousse à la réflexion sur le lecteur que nous sommes, et celui que nous voulons être. Ce texte est empreint de mélancolie, beau et triste à la fois. S'il n'a rien de révolutionnaire, je pense toutefois que tout bon lecteur l'appréciera, car ce roman est avant tout une ode au pouvoir des livres et à l'imagination.

Info : publié en vo (japonais) en 2017 / publié en français en 2022 chez NiL éditions au prix de 19€.

 

Le deuxième roman nous emmène cette fois à Shanghai. XO a en effet traduit un nouvel ouvrage de Cai Jun, Comme hier.

Comme hier557009e7812880a314833c600ccba5bb

Le 13 août un professeur d’informatique, son épouse et leur fils de cinq ans meurent dans un incendie. L'inspecteur Ye Xiao, en charge de l'enquête, va peu à peu rapprocher ce crime à deux autres - la disparition d'une lycéenne en 1999 et le meurtre d'une adolescente en 2012 - ayant eu lieu également un 13 août. Bien malgré lui, Sheng Xia, une élève du professeur, va mener en parallèle sa propre enquête. 

Dans son roman Cai Jun met en scène une Chine urbaine contemporaine angoissante. Finalement tout se résume à un lieu, la rue Nanming. Tout au long du récit nous faisons des allers-retours entre le lycée, l'appartement de Sheng Xia et le parc d'attractions abandonné (tous situés dans cette même rue), mais également des aller-retours entre réalité et monde virtuel (Comme hier étant un jeu sur lequel travaillait la victime) et des allers-retours temporaux (1999/2012/2017). Le tout créée une atmosphère suffocante et malaisante dans laquelle les personnages semblent se débattre. De plus, le récit joue sur un récit à la limite du fantastique avec les ''monstres'' (des personnes nées avec une malformation physique), la ressemblance physique entre Sheng Xia et l'élève disparue, les visions de Sheng Xia dues à sa tumeur, le nom de son chien (littéralement ''Mort'' en chinois)...

Le point fort de ce roman c'est le suspens. Jusqu'à la fin je me suis demandé comment l'auteur allait parvenir à donner sens à l'imbroglio qu'il avait créé. J'avoue avoir été incapable d'abandonner ce récit avant d'avoir toutes les réponses. Cai Jun nous lance sur beaucoup de fausses pistes. Le lecteur a littéralement l'impression de tourner en rond au niveau spatial comme dans l'enquête de l'inspecteur qui brasse beaucoup de vent.

Car oui, son grand défaut, selon moi, c'est d'en avoir beaucoup trop mis. L'histoire part dans tous les sens (enquête policière, légende urbaine, nouvelles technologies...). Arrivés à la fin on se rend compte que de nombreux éléments n'ont finalement servi à rien. Les 50 dernières pages sont une accumulation de révélations qui partent dans le too much et sont souvent faites de façon maladroite. J'ai eu la désagréable impression que Cai Jun avait perdu la maîtrise de son intrigue. Le style était quant-à lui un peu trop familier à mon goût, mais il est très probable qu'il corresponde aux normes sociales de la Chine communiste.

Je suis d'autant plus déçue par ce livre que j'avais beaucoup aimé son précédent roman, La rivière de l'oubli, qui était non seulement parfaitement calibré, avec une intrigue maîtrisée avec brio, mais également une très bonne entrée dans les mœurs et vies des chinois d'aujourd'hui vivant dans une grande ville. On retrouve d'ailleurs dans Comme hier des éléments de ce premier ouvrage traduit en français (victime professeur dans un lycée privé, zone industrielle désaffectée lieu de légendes urbaines, crimes anciens jamais résolus...).

Info : publié en vo (chinois) en 2017 / publié en français en 2022 aux éditions XO au prix de 21,90€.

 

Retrouvez ici d'autres romans d'Asie : ICI

 

6 mars 2022

Littérature d'Argentine : cannibalisme et transidentité

Il semble de bon ton ces temps-ci de sortir les warnings lorsqu'un ouvrage aborde des thématiques difficiles. Même si je considère pour ma part cette pratique surtout adaptée aux romans jeunesse, ces deux romans seraient des candidats privilégiés pour allumer les clignotants. 

 

Les Vilaines de Camila Sosa Villada est l'un des rares romans disponibles en français parlant de transidentité et écrit par une femme trans. 

les-vilaines

 

Une nuit, dans le parc de la ville où les trans se prostituent, Tante Encarna, matriarche du groupe, trouve un bébé abandonné dans le fossé. Cette femme, à qui la maternité est interdite, décide d'élever cet enfant.
Si au début nous pensons suivre Tante Encarna et son fils Éclat des Yeux, peu à peu cette histoire fait place à une autre, celle de Camila la narratrice. Que cette dernière et l'autrice ait le même nom laisse rapidement supposer que Vilaines est une autofiction. Par de nombreux retours en arrière, elle nous confie ses souvenirs d'enfance et d'adolescence. Sa découverte de son véritable moi et la difficulté d'être trans, son rapport au sexe, à l'amour et à la prostitution. Elle nous dit la violence, la colère, la tristesse et la mort permanentes de cette vie. J'ignore jusqu'à quel point ce récit est inspiré de la vie de Camila l'autrice, mais le roman comporte de nombreuse scènes difficiles. En parallèle elle nous dresse le portrait de plusieurs de ses sœurs trans, prostituées comme elle, et de leurs tragédies.

Tout cet aspect biographique m'a permis d'aborder un sujet dont on parle de plus en plus mais qui est encore très incompris, la transidentité. Par des moments clés de sa vie, des anecdotes, des souvenirs marquants, Camila propose un texte accessible.  

J'ai par contre beaucoup moins adhéré au réalisme magique qui apparaît à certains moments du roman. J'ai cru comprendre que cette forme littéraire est très utilisée en Amérique latine, et qu'elle sert souvent de métaphore pour dire l'indicible. Tante Encarna est un personnage assez mystérieux. On sait peu de choses de son passé. Possessive, rancunière, colérique, tragique, elle vit toutes choses intensément. Sa maison est un havre de paix en pleine ville, tout aussi étrange que sa propriétaire. En toute logique c'est là qu'apparaît les éléments de réalisme magique. Et même si j'ai compris où l'autrice voulait en venir, j'ai souvent trouvé cet aspect de l'histoire hors de propos.

Si vous êtes intéressé par le sujet je ne saurais que vous conseiller cet ouvrage, en vous rappelant toutefois que prostitution et violence font partie intégrante du récit.

Info : paru en vo (espagnole, Argentine) en 2020 / paru en français en 2021 aux éditions Métailié au prix de 18,60€.

 

***

 

Tout aussi marquant bien que très différent, Agustina Bazterrica nous offre Cadavre Exquis, dystopie où elle imagine un futur où le cannibalisme est devenu légal. 

20200102021228807538

Suite à une pandémie, la viande des animaux est devenue mortelle pour les humains. Et même si des rumeurs circulent sur un complot à grande échelle et l'inexistence du virus, la loi est la loi : il est désormais interdit de manger un animal ou même d'en posséder un. Dans ce monde d'après, de nouveaux élevages ont fait leur apparition, ceux d'êtres humains génétiquement modifiés. Le héros est employé par un des abattoirs principaux du pays. Bien que dégoûté par son métier, conscient de l'horreur de la situation, il s'y résout pour payer les frais entraînés par l'Alzheimer de son père. 

Attention âmes sensibles s'abstenir. Ce roman est particulièrement dur. A travers le travail quotidien du personnage principal, le lecteur va découvrir les dessous des différents lieux où l'être humain est devenu une matière première qui s'achète : abattoir, boucherie, élevage, tannerie, labo pharmaceutique, domaine de chasse... Agustina Bazterrica n'a aucun scrupule à entrer dans les détails jusqu'à l'écœurement.

En parallèle nous découvrons l'hypocrisie des êtres humains de cet univers. Si le mot "humain" est formellement interdit pour désigner cette "viande spéciale", la population n'hésite plus à vendre les corps de leurs morts au marché noir ou à assassiner leur voisin pour mieux le manger. Désormais les criminels condamnés à mort sont envoyés aux abattoirs publics. Les problèmes de surpopulation, de migrants ou de mendicité ont disparu. 

Audacieuse et cohérente, cette dystopie est d'autant plus marquante suite à la pandémie que nous vivons. Elle interroge notre adaptabilité, notre capacité d'oubli et notre docilité face aux décisions gouvernementales.

L'horreur et la cruauté emplissent les pages de ce récit qui se lit également comme un pamphlet contre l'exploitation des animaux et en faveur des droits fondamentaux de tous les êtres sensibles. 

Info : paru en vo (espagnole, Argentine) en 2017 / paru en français en 2019 aux éditions Flammarion / édité en poche chez J'ai Lu en 2021 au prix de 7,40€.

 

13 février 2022

Nouveautés 2022 : Paris-Briançon de Philippe Besson & La Valse des petits pas de Claire Renaud

Le début d'année est souvent une période synonyme pour moi de littérature blanche et contemporaine. C'est dans ces premiers mois que j'affectionne particulièrement les ouvrages qui me paraissent difficiles de par leur thème, ou qui risquent de me faire pleurer comme une madeleine.

Au mois de janvier, Philippe Besson nous est revenu avec un nouveau roman, Paris-Briançon, qui s'éloigne de son genre de prédilection, l'autofiction.

Paris Birançonhappy smiley

Nous embarquons dans un train de nuit reliant Paris à Briançon. Ce roman choral adopte les points de vue d'environ dix passagers pour nous conter ce voyage d'une douzaine d'heures. L'originalité du récit est d'une grande simplicité : dès le prologue le lecteur apprend que certains d'entre eux seront morts le lendemain matin. 
Pourtant la majorité de l'histoire va être d'une grande douceur. Entre ces personnages très différents (âge, expérience, métier) qui ne se seraient jamais rencontrés autrement, des relations se nouent et des liens inattendus se créent. J'ai adoré découvrir leurs parcours de vie, les raisons qui les ont menés à être dans ce train. Au fur et à mesure que la nuit tombe, les confidences se font de plus en plus intimes, de celles qu'on peut faire à un inconnu qu'on ne reverra jamais. Or savoir qu'il s'agit pour certains (mais qui ?) de leurs dernières heures donne encore plus de poids aux paroles échangées. On s'attache au protagonistes tout en craignant pour leur vie.
Pourtant je crois que ce suspens martelé à chaque chapitre dessert finalement le roman. Le narrateur insiste énormément sur la fin funèbre de ce voyage tout en maintenant le suspens. Au fil des pages le lecteur s'imagine donc de plus en plus de choses horribles. Or Philippe Besson n'est pas Michael Bay, et si ce qui se passe est bien sûr affreux, cela n'atteint pas les horreurs que le lecteur s'est imaginé avec l'avancée récit. J'ose le dire (avec un peu de honte), j'ai été déçue par le dénouement.
Il s'agit d'un texte simple mais efficace, à l'image de la plume de l'auteur. Paris-Briançon est une jolie métaphore sur la vie, ses rencontres, ses hasards, sa fragilité.

Info : paru en vo (France) en 2022 aux éditions Julliard au prix de 19€.

***
Le même mois, Claire Renaud publiait son nouveau roman, La Valse des petits pas.
  

Un soir de semaine, une dizaine de couples mangent dans un bistrot de quartier sous les yeux de la serveuse et du barman. Au fil de la soirée, le lecteur va assister aux pensées des uns et des autres, entrant dans leur intimité.

Ce livre m'a quelque peu déconcertée. Alors qu'on le présentait comme un roman qui "raconte avec tendresse la valse amoureuse, dans toute sa complexité", mon sentiment lors de la lecture a été tout autre. Roman chorale, nous apprenons à connaître les protagonistes mais surtout leur relation avec celle ou celui qui les accompagne. Or le résultat n'est pas glorieux. Honnêtement il n'y a pratiquement pas de couple heureux dans cette salle (violence verbale, mépris, tromperie, dépression, manque de communication, routine mortifère, séparation...) et ceux qui le sont semblent condamnés à un sombre avenir. La "danse" amoureuse entre la serveuse et le barman est tout aussi malaisante car on devine que la jeune femme sort d'une relation toxique. J'en suis venue à la conclusion que l'autrice avait une vision très négative et pessimiste du couple.
Heureusement la plume de Claire Renaud, sa façon de dresser les portraits de personnages ni bon ni mauvais mais très humains, nous fait dévorer les pages. Chaque chapitre est dédié à un protagoniste différent. On s'amuse à deviner à qui on a affaire. Je pensais qu'il y aurait davantage d'interactions entre les clients, mais finalement nous avons surtout le droit à des introspections intérieures, faisant surgir en quelques pages les souvenirs et les regrets, les ressentiments et les secrets.
C'est parfois drôle, parfois émouvant, souvent triste, très réaliste. Je regrette vraiment qu'il n'y ait pas eu plus d'optimisme pour éclairer le récit.

Info : paru en vo (France) en 2022 aux éditions Fleuve au prix de 16,90€.


22 janvier 2022

Romans historiques : XXe siècle

Le XXe siècle et ses tragédies ont été la source d'inspiration de nombreux romans, en voici trois qui ne le démentiront pas.

 

J'écris ton nom de Sylvestre Sbille se passe pendant la 2nd Guerre Mondiale, durant l'occupation allemande de la Belgique.

so so


L'histoire est celle de l'attaque du train en partance de Malines pour Auschwitz le 19 avril 1943 par trois jeunes hommes. Ils permirent à quelques dizaines de personnes d'échapper aux allemands. A partir le de ce fait réel Sylvestre Sbille tire des portraits des personnes ayant participé d'une façon ou d'une autre à cet événement.

L'auteur va très loin dans son appropriation, leur donnant des rêves, des pensées, des valeurs, des fantasmes, des désirs, des caractères... extrêmement détaillés. Trop détaillés à mon goût. Car comment oublier que ces personnes ont existé et avaient de vrais rêves, de vrais vies. Cette façon de se les approprier comme s'ils n'étaient que des personnages de fiction qu'il avait créés m'a beaucoup dérangée.
Par ailleurs cet aspect particulièrement cérébral de construire ses personnages a empêché chez moi l'empathie. Tout ces personnages qu'on retrouve ou pas aux chapitres suivants (beaucoup disparaissent aussi vite qu'ils sont apparus), disséqués à la pensée près, m'ont souvent fait perdre le fil du roman. A force de détails, à certains moments je me suis vraiment demandée où l'auteur voulait en venir.

A partir de 150 pages j'ai commencé à m'ennuyer, y voyant un cas flagrant de "branlette intellectuelle". J'ai fini par en déduire qu'il souhaitait proposer un panorama des Belges pendant cette période noire de leur histoire - les juifs, les résistants, les collabo - en imaginant les motifs des uns et des autres. Malheureusement j'ai trouvé certains personnages caricaturaux, le plus flagrant étant Kurt Asche, belge travaillant (littéralement) à l'éradication des juifs de Belgique. Laid, pervers, convaincu par la doctrine nazie, antisémite, raciste, misogyne, souffrant d'un complexe d'infériorité, jouissant (littéralement là aussi) d'être en position de domination... bref une caricature qui nie (selon moi) la complexité de l'être humain et de ses motivations.

Si j'ai été jusqu'au bout de ce roman c'est pour la très belle plume de Sylvestre Sbille, lyrique et philosophique. Juste pour le style, je pourrais être tentée de découvrir un autre de ses textes. J'ai également été très intéressée par la thématique de J'écris ton nom, car, avouons-le, en tant que française j'ignorais tout de l'occupation belge. Sur cet aspect je n'ai pas été déçue. La reconstitution historique a répondu à plusieurs de mes interrogations.

Info : paru en vo (français) en 2019 aux éditions Belfond au prix de 17€.

 

Héroïnes de Sarah-Jane Stratford nous plonge dans les affres du maccarthysme, cette chasse aux sorcières que l'Amérique fit subir à ses concitoyens pendant plusieurs années.

so so

Suite à une délation anonyme Phoebe Adler, scénariste prometteuse, se retrouve balcklistée. Dans l'impossibilité de travailler alors qu'elle a une soeur à charge et sans aucune autre ressource financière, elle décide de fuir à Londres. Elle entre alors en contact avec Hannah Wolfson, une productrice américaine décidée à faire travailler sous anonymat des scénaristes blacklistés.

Ne connaissant rien à cette période ou presque, j'ai été fascinée par l'absurdité et l'hypocrisie de ces actions au sortir de la Guerre. Si officiellement les instances américaines poursuivaient les communistes, ce sont en réalité les afro-américains, les syndiqués, les homosexuels, les juifs, les intellectuels et les critiques du pouvoir en place qui étaient mis au banc de la société, interdits de travailler, ostracisés...

Mais rapidement nous passons de l'autre côté de l'Atlantique. Même si le spectre du maccarthysme est toujours présent à l'esprit des héroïnes, finalement l'histoire se passe surtout dans le Londres des année 50 et le milieu de l'audiovisuel. Pendant une grande partie du livre il est davantage question de voir comment Phoebe va réussir à se faire une place dans un nouveau pays et au sein d'un univers très masculin à une époque où il était suspicieux d'être une femme indépendante et célibataire. Particulièrement friande de séries, j'ai aussi beaucoup aimé assister à des tournages et voir l'arrière du décors des productions télévisées sur lesquelles elle travaille.

Toutefois je m'étais attendue à plus de bienveillance. Les britanniques (à l'exception de trois personnages) y sont mesquins et hypocrites. Phoebe est rejetée par ses collègues pour être américaine et "voler" le travail des anglais, tandis que les mêmes personnes font des courbettes à Hannah, elle aussi américaine mais pouvant utiliser l'argent de son mari pour lancer sa boîte de production. Les américains expatriés ne sont pas guère mieux avec leur ego et leurs médisances, créant un climat de méfiance particulièrement malsain bien qu'un océan entier les sépare des Etats-Unis.

En toute honnêteté je ne comprends pas en quoi ces deux femmes sont des héroïnes. Si Phoebe m'a fait l'impression d'un gentille idiote un peu ennuyeuse, au moins a-t-elle su rester loyale et honnête. Le personnage d'Hannah m'a par contre particulièrement déplu. J'ai détesté la voir exploiter le talent de scénaristes célèbres en les payant au minimum syndical sous prétexte qu'ils étaient blacklistés et se vanter ensuite de se battre pour leur cause. Acculés ils n'avaient pas moyen de refuser les conditions qu'elle leur proposait... 

Info : paru en vo (anglais américain) en 2020 sous le titre Red Letter Days / publié en français en 2021 chez Belfond au prix de 21€.

 

Enfin avec Alabama 1963 de Ludovic Manchette et Christian Niemec, nous partons dans l'Amérique ségrégationniste.

Alabama 1963

Nous sommes en Alabama au début des années 60, alors que plusieurs petites filles afro-américaines disparaissent, la police ne semble pas juger bon d'enquêter. Afin d'obtenir enfin des réponses, l'un des pères engage Bud Larkin, ancien flic devenu détective privé, alcoolique, raciste et désagréable. Adela Cobb, femme de ménage, va se retrouver contre toute probabilité incluse dans l'enquête.

Toute la force de ce roman est dans sa reconstitution historique. Le lecteur se retrouve à l'époque des contestations et marches pacifiques. On y parle de Martin Luther King Jr et Kennedy. Ces disparitions mettent en exergue toute les injustices de cette Amérique ségrégationniste. Mais le pays frémit et le lecteur sent que le vieux modèle arrive à son terme. En attendant, les relations entre les communautés blanches et noires de cette petite ville sont assez choquantes, non seulement par les mots utilisés, mais également dans cette volonté violente de scission (et cela des deux côtés) jusqu'à être intégrée comme une norme qu'il est mal vu (voir tabou) de transgresser.

Dans ce climat conflictuel le roman arrive à faire preuve d'humour grâce au personnage d'Adela. Sa relation avec ses employeurs blancs et ses opinions malicieuses apportent un peu de légèreté au récit. Face à un détective des plus antipathiques, elle devient rapidement la véritable héroïne de ce récit, attachante, pragmatiques et bienveillante. Les dialogues entre les deux protagonistes sont d'ailleurs des plus savoureux.

Attention toutefois à ne pas lire Alabama 1963 comme un livre policier. Ne vous attendez pas à une vraie enquête. Bud est trop alcoolisé pour être efficace. La résolution de ces disparitions, nous la devrons à un aspect plus "fantastique", certes très léger, mais que j'ai trouvé un peu trop facile (en mode "deus ex machina") et finalement décevant pour l'intrigue.

Info : paru en vo (français) en 2020 aux éditions du Cherche Midi / paru en poche chez Pocket en 2021 au prix de 7,60€.

 

Publicité
Publicité
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>
Publicité