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Books en série
6 mars 2022

Littérature d'Argentine : cannibalisme et transidentité

Il semble de bon ton ces temps-ci de sortir les warnings lorsqu'un ouvrage aborde des thématiques difficiles. Même si je considère pour ma part cette pratique surtout adaptée aux romans jeunesse, ces deux romans seraient des candidats privilégiés pour allumer les clignotants. 

 

Les Vilaines de Camila Sosa Villada est l'un des rares romans disponibles en français parlant de transidentité et écrit par une femme trans. 

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Une nuit, dans le parc de la ville où les trans se prostituent, Tante Encarna, matriarche du groupe, trouve un bébé abandonné dans le fossé. Cette femme, à qui la maternité est interdite, décide d'élever cet enfant.
Si au début nous pensons suivre Tante Encarna et son fils Éclat des Yeux, peu à peu cette histoire fait place à une autre, celle de Camila la narratrice. Que cette dernière et l'autrice ait le même nom laisse rapidement supposer que Vilaines est une autofiction. Par de nombreux retours en arrière, elle nous confie ses souvenirs d'enfance et d'adolescence. Sa découverte de son véritable moi et la difficulté d'être trans, son rapport au sexe, à l'amour et à la prostitution. Elle nous dit la violence, la colère, la tristesse et la mort permanentes de cette vie. J'ignore jusqu'à quel point ce récit est inspiré de la vie de Camila l'autrice, mais le roman comporte de nombreuse scènes difficiles. En parallèle elle nous dresse le portrait de plusieurs de ses sœurs trans, prostituées comme elle, et de leurs tragédies.

Tout cet aspect biographique m'a permis d'aborder un sujet dont on parle de plus en plus mais qui est encore très incompris, la transidentité. Par des moments clés de sa vie, des anecdotes, des souvenirs marquants, Camila propose un texte accessible.  

J'ai par contre beaucoup moins adhéré au réalisme magique qui apparaît à certains moments du roman. J'ai cru comprendre que cette forme littéraire est très utilisée en Amérique latine, et qu'elle sert souvent de métaphore pour dire l'indicible. Tante Encarna est un personnage assez mystérieux. On sait peu de choses de son passé. Possessive, rancunière, colérique, tragique, elle vit toutes choses intensément. Sa maison est un havre de paix en pleine ville, tout aussi étrange que sa propriétaire. En toute logique c'est là qu'apparaît les éléments de réalisme magique. Et même si j'ai compris où l'autrice voulait en venir, j'ai souvent trouvé cet aspect de l'histoire hors de propos.

Si vous êtes intéressé par le sujet je ne saurais que vous conseiller cet ouvrage, en vous rappelant toutefois que prostitution et violence font partie intégrante du récit.

Info : paru en vo (espagnole, Argentine) en 2020 / paru en français en 2021 aux éditions Métailié au prix de 18,60€.

 

***

 

Tout aussi marquant bien que très différent, Agustina Bazterrica nous offre Cadavre Exquis, dystopie où elle imagine un futur où le cannibalisme est devenu légal. 

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Suite à une pandémie, la viande des animaux est devenue mortelle pour les humains. Et même si des rumeurs circulent sur un complot à grande échelle et l'inexistence du virus, la loi est la loi : il est désormais interdit de manger un animal ou même d'en posséder un. Dans ce monde d'après, de nouveaux élevages ont fait leur apparition, ceux d'êtres humains génétiquement modifiés. Le héros est employé par un des abattoirs principaux du pays. Bien que dégoûté par son métier, conscient de l'horreur de la situation, il s'y résout pour payer les frais entraînés par l'Alzheimer de son père. 

Attention âmes sensibles s'abstenir. Ce roman est particulièrement dur. A travers le travail quotidien du personnage principal, le lecteur va découvrir les dessous des différents lieux où l'être humain est devenu une matière première qui s'achète : abattoir, boucherie, élevage, tannerie, labo pharmaceutique, domaine de chasse... Agustina Bazterrica n'a aucun scrupule à entrer dans les détails jusqu'à l'écœurement.

En parallèle nous découvrons l'hypocrisie des êtres humains de cet univers. Si le mot "humain" est formellement interdit pour désigner cette "viande spéciale", la population n'hésite plus à vendre les corps de leurs morts au marché noir ou à assassiner leur voisin pour mieux le manger. Désormais les criminels condamnés à mort sont envoyés aux abattoirs publics. Les problèmes de surpopulation, de migrants ou de mendicité ont disparu. 

Audacieuse et cohérente, cette dystopie est d'autant plus marquante suite à la pandémie que nous vivons. Elle interroge notre adaptabilité, notre capacité d'oubli et notre docilité face aux décisions gouvernementales.

L'horreur et la cruauté emplissent les pages de ce récit qui se lit également comme un pamphlet contre l'exploitation des animaux et en faveur des droits fondamentaux de tous les êtres sensibles. 

Info : paru en vo (espagnole, Argentine) en 2017 / paru en français en 2019 aux éditions Flammarion / édité en poche chez J'ai Lu en 2021 au prix de 7,40€.

 

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